Romain Crelier bouscule les sens. Son art unique offre une réflexion profonde sur l’humain et met en lumière ce qui nous constitue. Il y a des œuvres qui vous saisissent, vous transpercent, et ne vous lâchent plus. Des créations qui, bien au-delà de leur esthétique immédiate, résonnent en vous comme un écho lointain, bousculant vos certitudes et vous ouvrant les portes de la contemplation.
L’une de ces expériences marquantes, qui continue de hanter mes pensées et d’inspirer ma vision du monde, est sans aucun doute l’installation magistrale de Romain Crelier, intitulée « La Mise en Abîme », présentée en 2013 dans le cadre majestueux de l’abbatiale de Bellelay, en Suisse.
L’œuvre bouleversante de Romain Crelier, « La Mise en Abîme », une installation où l’huile usagée et le métal transfigurent l’abbatiale de Bellelay. Cet article explore comment des flaques géantes, aux surfaces laquées et réfléchissantes, transforment notre perception de l’espace et nous invitent à une introspection profonde. Plongé dans le reflet, le spectateur devient partie intégrante de l’œuvre, confronté à la beauté et au mystère de l’éphémère, entre lumière et obscurité, forme et vide. Une expérience artistique et sensorielle inoubliable.
Imaginez un instant le décor : une ancienne abbatiale, chargée d’histoire, de spiritualité, et imprégnée du silence des siècles. Ses pierres ont vu défiler des générations, ses voûtes ont résonné de prières et de chants. Et au cœur de cet édifice millénaire, quelque chose d’inattendu, de radicalement contemporain, vient s’installer.
Non pas une peinture sur toile, ni une sculpture de marbre classique, mais deux vastes étendues sombres, lisses, miroitantes. Deux flaques géantes d’huile usagée, contenues dans des réceptacles de métal aux finitions d’une précision chirurgicale.
Le Miroir Sépulcre : Quand l’Art de Romain Crelier nous Plonge en Abîme
C’est là que réside toute la puissance, la magie presque alchimique, de l’œuvre de Crelier. Elle nous invite à une expérience qui dépasse la simple observation pour devenir une véritable immersion sensorielle et intellectuelle.
Romain Crelier : L’Architecte de l’Invisible
Avant de plonger plus profondément dans les méandres de « La Mise en Abîme », il est essentiel de cerner l’artiste qui en est à l’origine. Romain Crelier, artiste suisse, s’est forgé une réputation enviable pour ses installations in situ, des œuvres qui dialoguent avec le lieu qui les accueille, le transforment et, en retour, en sont transformées.
Son travail se caractérise par une exploration méticuleuse de l’espace, de la lumière et des matériaux, souvent avec une prédilection pour des éléments bruts, industriels ou même considérés comme de jolis déchets – comme l’huile usagée.
Ce qui frappe chez Crelier, c’est sa capacité à transcender le matériau pour en faire apparaître l’âme, à révéler la poésie cachée dans le quotidien, voire dans ce qui est rejeté. Il n’est pas question ici de simple recyclage, mais de transmutation, d’une sorte de rédemption esthétique. Ses œuvres ne sont pas de simples objets à admirer, mais des dispositifs qui nous invitent à reconsidérer notre environnement, à prendre conscience de ce qui nous entoure et à nous interroger sur notre propre place dans le grand tableau du monde. Ses installations sont souvent éphémères, ce qui renforce leur impact et leur confère une aura d’autant plus précieuse. Chaque rencontre est unique, un moment volé au temps.
« La Mise en Abîme » : Une Plongée au Cœur de la Réflexion
Revenons à Bellelay. Le titre de l’œuvre, « La Mise en Abîme », est déjà une invitation au voyage. Ce terme, emprunté à la rhétorique et à la littérature, désigne l’insertion d’une œuvre dans une œuvre similaire, créant un effet de récursion infinie – une image reflétée dans une image, un récit raconté dans un récit. Ici, Crelier l’applique avec une intelligence visuelle et conceptuelle sidérante.
L’Huile Usagée : Matière et Symbole
Le choix de l’huile usagée est sans doute l’un des aspects les plus audacieux et les plus géniaux de l’installation. Cette substance, habituellement associée à la saleté, au déchet industriel, à la pollution, est ici magnifiée. Elle n’est plus un détritus, mais une matière première pour la beauté, un médium pour la lumière et le mystère.
Dans les mains de Crelier, l’huile usagée se mue en une surface d’une brillance inouïe, presque laquée. Les impuretés, les sédiments, tout ce qui pourrait la rendre répugnante, disparaissent ou sont sublimés dans cette profondeur opaque et pourtant si réfléchissante. C’est une surface qui absorbe la lumière tout en la renvoyant, créant un paradoxe visuel fascinant. L’œil est attiré par sa noirceur veloutée, puis captivé par les reflets qu’elle capte.
Ce matériau, chargé de notre histoire industrielle, de notre consommation effrénée, devient ici un miroir tendu à notre civilisation. Sans aucune culpabilisation, l’œuvre nous confronte à la transformation de ce qui est considéré comme sans valeur en quelque chose de profondément esthétique et méditatif. C’est une sorte de poésie du déchet, une invitation à voir la beauté là où on l’attend le moins.
Romain Crelier et son oeuvre la plus spectaculaire » Mise en abîme » en 2013.
Les Récipients : Précision et Contraste
Les deux grands récipients métalliques, dont la description souligne la précision et la finition impeccables, jouent un rôle crucial. Ils encadrent l’huile, lui donnant une forme, une structure, transformant ces « flaques géantes » en objets d’art délibérés. Le métal, froid, industriel, géométrique, contraste magnifiquement avec la fluidité organique et la profondeur énigmatique de l’huile. Cette dualité entre le contenant et le contenu, entre le solide et le liquide, le défini et l’indéfini, est une tension fertile qui enrichit l’expérience de l’œuvre.
Ces bassins ne sont pas de simples contenants ; ce sont des yeux ouverts sur l’espace, des cadres qui délimitent et concentrent notre regard sur une nouvelle réalité. Ils ancrent l’éphémère dans le concret, l’immatériel dans un support physique.
Le Jeu des Reflets : Quand le Spectateur Devient Œuvre
Et puis vient l’interaction. L’un des aspects les plus bouleversants de « La Mise en Abîme » est la manière dont elle englobe le spectateur. Les surfaces brillantes et laquées des bassins ne se contentent pas de renvoyer la lumière ; elles reflètent l’environnement alentour avec une fidélité saisissante. Les majestueuses voûtes de l’abbatiale, les piliers massifs, les vitraux, le ciel visible parfois à travers les ouvertures – tout se retrouve capturé, déformé et magnifié à la surface de l’huile.
En vous approchant de l’œuvre, vous voyez non seulement l’architecture de l’église d’une manière inédite, mais vous vous voyez aussi. Votre propre silhouette, votre visage, vos vêtements, deviennent une partie du tableau, une image éphémère flottant sur cette mer d’huile sombre. C’est le cœur même de la « mise en abîme » : vous êtes attiré dans la réflexion, et vous, à votre tour, devenez une partie de la sculpture elle-même.
C’est une expérience profondément introspective. Qui suis-je dans ce reflet ? Comment mon image se mêle-t-elle à celle de cette église ancienne, à cette matière chargée de mémoire ? L’œuvre nous invite à une confrontation douce, silencieuse, avec notre propre présence, notre matérialité, notre impermanence. Nous ne sommes plus de simples observateurs passifs, mais des participants actifs, des éléments constitutifs de l’œuvre pour le temps de notre présence.
Romain Crelier invente une Nouvelle Lecture de l’Espace et du Temps.
L’installation de Crelier ne se contente pas d’offrir de multiples sensations visuelles et de susciter le mystère ; elle crée également un moment où la sculpture génère une autre lecture de l’espace. L’abbatiale de Bellelay, avec son vécu et sa sacralité, est redécouverte à travers le prisme de l’huile. Les reflets jouent avec les perceptions, abolissant parfois les limites entre le haut et le bas, l’intérieur et l’extérieur.
Un pilier qui se dresse majestueusement se voit projeté et inversé sur la surface liquide, créant des perspectives inattendues, des illusions d’optique où la matière solide de la pierre semble flotter dans un liquide éthéré.
C’est une danse entre la permanence de la pierre et la fluidité de l’huile, entre l’histoire figée et l’instant présent en mouvement. Le sacré de l’église est ici revisité par le profane de l’huile, créant un dialogue inattendu, une harmonie inattendue.
L’œuvre nous pousse à ralentir, à observer minutieusement, à nous laisser submerger par les jeux de lumière et d’ombre qui se déploient à sa surface. Chaque rayon de soleil, chaque nuage passant, chaque mouvement d’un spectateur modifie l’image, rendant l’œuvre vivante et toujours changeante. C’est une méditation sur l’éphémère, sur le temps qui passe et sur l’instant présent qu’il faut saisir.
Exploration Conceptuelle : Dualités et Frontières
Crelier, travaillant à une échelle à la fois monumentale et intime, utilise « La Mise en Abîme » pour poursuivre son exploration rigoureuse de l’espace par l’engagement conceptuel avec les bâtiments. Son travail est une expérimentation constante avec les grandes dualités qui structurent notre perception du monde :
- Lumière et Obscurité : L’huile sombre capte et renvoie la lumière d’une manière unique, faisant jouer les contrastes et les nuances. L’obscurité de l’huile n’est pas une absence, mais une présence dense, profonde, capable de révéler des éclats insoupçonnés.
- Forme et Vide : Les récipients définissent une forme, mais l’huile contenue crée un vide visuel qui absorbe l’environnement, un espace qui semble infini malgré ses limites physiques. Ce vide invite à la contemplation, à l’imagination.
- Intérieur et Extérieur : L’œuvre est installée à l’intérieur de l’abbatiale, mais elle en reflète l’extérieur, brouillant les frontières et invitant le dehors à l’intérieur, dans une fusion fluide des espaces.
- Surface et Profondeur : La surface laquée de l’huile est un appel à l’œil, mais elle suggère aussi une profondeur insondable, un abîme silencieux où se perdent les images et les pensées. On est à la fois survolé par la surface et aspiré par la profondeur.
- Figuration, Réflexion et Absorption : L’œuvre nous montre des figurations (les reflets de l’architecture, de nous-mêmes), mais elle nous invite aussi à la réflexion mentale, à l’introspection, et finalement, à une sorte d’absorption émotionnelle et intellectuelle par l’œuvre elle-même. Nous sommes aspirés dans son mystère.
Cette œuvre est donc loin d’être un simple effet visuel. C’est une profonde proposition philosophique sur notre rapport à l’espace, au temps, à la matière, et à nous-mêmes.
Une Expérience Humaine et Émotionnelle
Ce qui me touche le plus dans « La Mise en Abîme », c’est sa capacité à créer une résonance humaine profonde. Il n’y a pas de message didactique, pas d’injonction. Juste une invitation à l’expérience. Une invitation à ressentir.
Assise ou debout devant ces étendues d’huile, on se sent étrangement connecté. Connecté à l’histoire du lieu, à l’artiste qui a imaginé cette audace, et surtout, connecté à soi-même. Le silence de l’abbatiale intensifie cette introspection.
Les reflets sont comme des pensées qui traversent l’esprit, insaisissables et pourtant si réelles. La beauté qui émane de cette matière « usagée » est un rappel poignant de la capacité de l’art à transfigurer le monde, à révéler la beauté intrinsèque de toute chose, même la plus humble ou la plus rejetée.
C’est une œuvre qui ne cherche pas à impressionner par la force bruyante, mais par la subtilité, par l’élégance de sa proposition. Elle émeut par son intelligence, par sa poésie silencieuse. Elle nous invite à une pause, une respiration dans le tumulte du monde, un moment d’ancrage et de flottement à la fois. Elle nous rappelle que l’art n’est pas toujours dans le spectaculaire, mais souvent dans le simple et le profond, dans ce qui nous pousse à regarder différemment, à sentir plus intensément.
« La Mise en Abîme » est un hymne à la transformation, à la contemplation. C’est une œuvre qui nous murmure que même le plus banal des matériaux peut devenir le support d’une expérience esthétique transcendante. Elle nous invite à voir au-delà des apparences, à chercher la lumière dans l’obscurité, la profondeur dans la surface.
Exposition de Romain Crelier par Maxim Velcovsky
Conclusion : L’Écho Infini de l’Art de Crelier
Romain Crelier, avec « La Mise en Abîme », nous a offert bien plus qu’une simple installation artistique. Il a créé un portail, une brèche dans notre perception habituelle, nous invitant à une danse hypnotique entre le réel et son reflet, entre le passé et le présent. L’abbatiale de Bellelay, déjà un lieu de recueillement, est devenue, grâce à lui, un sanctuaire de la réflexion, où l’huile usagée se transforme en un miroir aux mille facettes, nous renvoyant à notre propre humanité, à notre capacité d’émerveillement.
Cette œuvre est un témoignage éclatant du pouvoir de l’art de créer des ponts, de susciter le dialogue, de transformer notre regard. Elle nous rappelle que la beauté n’est pas toujours là où on l’attend, qu’elle peut surgir des profondeurs de l’oubli, des recoins de l’ordinaire. En nous plongeant littéralement en abîme, Crelier ne nous pousse pas vers le vide, mais vers une plénitude de sens, une compréhension plus riche de nous-mêmes et du monde qui nous entoure. Et c’est là, pour moi, la véritable magie de l’art : celle qui nous touche au plus profond de l’âme et laisse un écho infini.
Mise en abîme: Une œuvre d’art visuellement saisissante installée au sol de l’abbaye de Bellelay en Suisse en 2013 par l’artiste Romain Crelier.
Sources et Liens Vérifiables :
- Site officiel de Romain Crelier : Pour découvrir l’ensemble de son travail et d’autres projets passionnants.
- https://romaincrelier.ch/
- Note : Le site personnel de l’artiste est souvent la première source d’information fiable.
- Article sur « La Mise en Abîme » à Bellelay : Des galeries ou institutions artistiques mettent souvent à disposition des informations détaillées sur les expositions.
- Un exemple de référence peut être trouvé sur certains sites de galeries d’art ou d’archives d’expositions. Par exemple, le site de la Fondation de l’Abbatiale de Bellelay pourrait contenir des archives de l’exposition.
- Recherche sur Google Scholar ou des bases de données d’art avec « Romain Crelier La Mise en Abîme Bellelay » pour des articles critiques ou universitaires.
- Un exemple de mention avec images se trouve souvent sur des plateformes d’art contemporain :
- https://www.lecourrier.ch/2013/05/17/lhuile-a-lepreuve-de-labbatiale/ (Article du Courrier, journal suisse, sur l’exposition)
- https://www.20min.ch/story/lhuile-transforme-labbatiale-de-bellelay-309623653119 (Article de 20 minutes, journal suisse, sur l’exposition)
- Présentation de l’abbatiale de Bellelay : Pour le contexte architectural et historique du lieu.
- https://www.bellelay.ch/ (Site de la Fondation de l’Abbatiale de Bellelay)
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