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La Fenice de Venise : Renaissance Légendaire d’un Opéra Mythique.

Lorsque les flammes dévorèrent Notre-Dame de Paris, le monde entier retint son souffle, uni dans une même douleur. De Venise, un écho de solidarité résonna avec une poignante familiarité. L’opéra La Fenice, joyau lyrique de la Sérénissime, connaît bien la douleur des cendres et la force de la renaissance.

Frappée à deux reprises par des incendies dévastateurs, cette scène mythique a toujours su renaître de ses ruines, plus somptueuse et plus éclatante que jamais. Tel le Phénix dont elle porte le nom, La Fenice incarne la résilience, la beauté éternelle et l’esprit indomptable de Venise. Plongeons ensemble dans l’épopée fascinante de ce théâtre pas comme les autres.

Venise, Berceau de l’Opéra Public

Pour comprendre la grandeur de La Fenice, il faut d’abord saisir la place unique qu’occupe Venise dans l’histoire de l’opéra. Loin des cours royales et des palais aristocratiques où l’opéra était un divertissement privé, c’est dans la Cité des Doges que s’est ouvert en 1637 le premier théâtre lyrique public et payant au monde : le Teatro San Cassiano. Cette innovation fut une véritable révolution. L’opéra, autrefois réservé à une élite, devint accessible à un public plus large, avide de spectacles.

Venise, alors une république florissante et cosmopolite, avec son carnaval incessant et son goût prononcé pour le théâtre et la musique, offrait un terreau fertile à cette nouvelle forme d’art. Les œuvres présentées n’hésitaient pas à alterner scènes comiques et tragiques, captivant ainsi le public. C’est ici que la « prima donna » – la première chanteuse – acquit ses lettres de noblesse, et très vite, le « primo uomo » incarné par le castrat, devint une figure adulée. Au XVIIe siècle, de nombreuses salles ouvrirent leurs portes à travers la ville, voyant triompher des génies comme Georg Friedrich Haendel et Alessandro Scarlatti, qui y présentèrent plusieurs de leurs œuvres. Venise n’était pas seulement un centre économique et politique, mais un phare culturel, une véritable capitale de l’innovation lyrique.

La Naissance d’un Phénix : Une Volonté de Splendeur

L’histoire singulière de La Fenice débute véritablement en 1787. « La Nobile Società dei Palchettisti » (La Noble Société des Propriétaires de Loges), propriétaire du Teatro San Benedetto – un théâtre alors considéré comme l’un des plus élégants de la ville – se voit expulsée de ses locaux suite à un litige avec la famille Venier, propriétaire du terrain. Loin de se résigner, cette société d’aristocrates vénitiens prend une décision audacieuse : construire un nouveau théâtre, encore plus grandiose, qui éclipserait tous les autres. Le message était clair : même chassée, la noblesse vénitienne ferait renaître de ses cendres, tel le mythique oiseau, un nouveau temple dédié aux plaisirs de l’œil et de l’oreille du spectateur.

La Fenice de Venise un théâtre mythique à la splendeur intemporelle

Les travaux commencèrent en 1790 sous la direction de l’architecte Giannantonio Selva. Il conçut une élégante maison à deux entrées, une discrète sur les canaux pour l’arrivée en gondole – symbole du raffinement vénitien –, l’autre majestueuse donnant sur une place, le Campo San Fantin. L’inauguration eut lieu le 16 mai 1792, avec l’opéra I giuochi d’Agrigento de Giovanni Paisiello. Le nom « La Fenice » fut choisi avec une intention éclatante, faisant directement allusion à l’oiseau légendaire qui renaît de ses propres cendres, un présage qui, hélas et heureusement, se révélerait d’une exactitude prophétique.

Le théâtre était, dès sa conception, un chef-d’œuvre de l’architecture néoclassique. L’auditorium, en forme de fer à cheval – une configuration idéale pour l’acoustique et la visibilité – était orné de stucs dorés, de velours écarlates et de fresques délicates. Les cinq rangées de loges superposées, richement décorées, offraient un spectacle en soi, reflétant le statut social de leurs occupants. La Fenice devint immédiatement le centre de la vie sociale et musicale de Venise, un lieu où l’art et la mondanité se rencontraient dans une symphonie de splendeur.

La Première Renaissance : L’Incendie de 1836

L’histoire de La Fenice est jalonnée de tragédies et de triomphes. La première épreuve survint dans la nuit du 13 décembre 1836. Un incendie d’origine accidentelle, probablement dû à un poêle défectueux, ravagea complètement l’intérieur du théâtre, ne laissant que les murs extérieurs fumants. La douleur fut immense pour les Vénitiens. Cependant, la « Nobile Società » ne plia pas. L’esprit du Phénix, inscrit dans le nom même du théâtre, se manifesta avec une force inouïe.

En seulement un an, La Fenice fut reconstruite. Les frères Giambattista et Tommaso Meduna furent chargés de la reconstruction. Ils respectèrent en grande partie la conception originale de Selva, mais en apportant des améliorations esthétiques et fonctionnelles. Les décorations intérieures furent revisitées avec un style plus opulent, reflétant le goût de l’époque. Le théâtre rouvrit ses portes le 26 décembre 1837 avec l’opéra Belisario de Gaetano Donizetti. Cette première renaissance ancra La Fenice dans la légende, lui conférant une aura de résilience qui allait devenir sa marque de fabrique. Elle avait prouvé qu’elle était bien plus qu’un simple bâtiment : c’était une âme immortelle de la culture vénitienne.

Un Temple d’Innovations et de Créations Lyriques

Au-delà de sa beauté architecturale et de sa capacité à renaître, La Fenice s’est imposée comme un lieu d’incessantes créations et d’innovations artistiques. Sa scène a vu naître certaines des œuvres les plus emblématiques de l’opéra italien, et au-delà.

Dès le début du XIXe siècle, les plus grands compositeurs de l’époque choisirent Venise pour leurs premières mondiales. Gioachino Rossini y créa Tancredi en 1813 et Semiramide en 1823. Vincenzo Bellini y donna I Capuleti e i Montecchi en 1830. Mais c’est incontestablement Giuseppe Verdi qui entretient le lien le plus profond et le plus prolifique avec La Fenice. Il y créa pas moins de cinq de ses opéras majeurs :

  • Ernani (1844)
  • Attila (1846)
  • Rigoletto (1851)
  • La Traviata (1853)
  • Simon Boccanegra (version originale, 1857)

Imaginez l’effervescence de ces soirées, l’attente fébrile du public vénitien, connu pour être exigeant et passionné, découvrant pour la première fois les mélodies intemporelles de Verdi.

La Callas au sein de La Fenice

La première de La Traviata, en particulier, fut un semi-échec initial, mais l’œuvre conquit rapidement le monde, témoignant de l’audace artistique dont La Fenice faisait preuve.

Plafond de la Fenice , l’opéra mythique de Venise.

Au XXe siècle, son rôle de scène de création s’est étendu à l’international, accueillant des premières italiennes d’œuvres majeures comme Rienzi et Der Ring des Nibelungen de Richard Wagner. Mais surtout, elle fut le berceau de trois des opéras les plus importants de notre siècle en quelques années seulement :

Chaque première était un événement mondial, plaçant La Fenice au cœur de la modernité lyrique, capable de concilier son histoire vénérable avec une vision résolument tournée vers l’avenir de la musique. Des compositeurs contemporains tels que Luigi Nono y ont également donné des créations marquantes comme Intolleranza 1960. C’est cette capacité à être à la fois un musée vivant et un laboratoire artistique qui fait la grandeur inégalée de ce théâtre.

Costa a érigé une horloge numérique sur le site de construction et a fixé à décembre 2003 la date d’achèvement de la plupart des travaux. Cette opération a permis de maintenir le rythme des travaux à un rythme soutenu et de maintenir l’esprit vénitien local! Il a également réussi à rappeler aux travailleurs combien il leur restait peu de temps et à les inciter à donner le meilleur de leurs moyens! Des fonds internationaux ont été versés pour faire en sorte que l’auditorium retentisse à nouveau des notes de musique et d’opéras.

Les Américains, par exemple, ont payé pour le magnifique plafond, tandis que les Britanniques ont fourni les lustres impressionnants qui scintillent à l’opéra d’aujourd’hui. Les Français n’étaient pas loin derrière et payaient pour devenir membres du conseil d’administration de La Fenice! La restauration de La Fenice dans sa gloire initiale n’était rien de moins qu’un miracle, vu le fait qu’il n’y avait ni espace de travail, ni temps à perdre.

La Tragédie de 1996 : Le Cœur de Venise en Cendres

Pourtant, l’histoire de La Fenice n’était pas achevée. Le destin, ou plutôt une main criminelle, devait à nouveau la mettre à l’épreuve. Dans la nuit glaciale du 29 janvier 1996, pour la deuxième fois de son histoire, un incendie ravagea le théâtre. Cette fois-ci, l’origine était intentionnelle : deux électriciens, coupables de fraude, avaient mis le feu pour retarder l’achèvement de travaux et éviter des pénalités.

Vers 21 heures, une épaisse fumée s’échappa de la façade, signalée par un bateau de police patrouillant sur les canaux adjacents. Les bateaux de pompiers furent immédiatement dépêchés, mais la situation était déjà dramatique. Comble de l’ironie dévastatrice, les canaux menant à l’opéra avaient été en partie drainés par la même entreprise de rénovation pour faciliter d’autres travaux, rendant l’approvisionnement en eau extrêmement difficile. Des hélicoptères rejoignirent les efforts de sauvetage, remplissant des seaux d’eau dans le Grand Canal et les déversant vaillamment sur le brasier, un spectacle poignant d’impuissance face à la fureur des flammes.

Pendant plus de neuf heures, le feu fit rage. Les maisons avoisinantes furent évacuées par crainte d’une propagation. Par un coup de chance miraculeux, le vent était quasi absent cette nuit-là, évitant que l’enfer ne s’étende à toute la sestiere. Mais à l’intérieur, le désastre était total. Seules les fondations résistèrent. Le plafond de la Fenice, cette merveille que tant de regards avaient admirée, s’effondra. L’opéra, considéré par beaucoup comme le plus beau du monde, n’était plus qu’une coquille noircie, un fantôme de sa splendeur passée. L’image de ce géant carbonisé, flottant sur l’eau comme un vaisseau fantôme, fit le tour du monde et toucha les cœurs. Le cœur de Venise saignait.

La Volonté de Renaissance : Un Chant de Solidarité Mondiale

Mais l’esprit du Phénix veillait. Au lendemain de la catastrophe, une promesse solennelle fut faite par les autorités locales et le gouvernement italien : La Fenice renaîtrait, « com’era, dov’era » – « comme elle était, là où elle était ». Ce n’était pas seulement une reconstruction, c’était une résurrection, une affirmation de l’identité et de la mémoire de Venise. Ce n’était pas une option de construire un nouvel opéra moderne, comme certains purent le suggérer. Comme l’administrateur de l’époque, Giampaolo Vianello, le formula si justement : « Mais c’est Venise, on ne peut pas faire ça ! Nous devons respecter le passé ! »

Les défis étaient colossaux. Non seulement il fallait reconstruire à l’identique un bâtiment dont les plans originaux étaient incomplets, mais il fallait aussi le faire dans le respect des techniques traditionnelles, sur un site contraint par les canaux et l’impossibilité d’utiliser des engins modernes lourds. La tâche fut confiée à l’architecte Aldo Rossi, puis après son décès, à Gae Aulenti et ensuite à une équipe d’experts et d’artisans.

La reconstruction devint une véritable épopée humaine. Des fonds affluèrent du monde entier, témoignage de l’affection universelle pour ce monument. Ce fut une chaîne de solidarité internationale émouvante. Les Américains, par exemple, financèrent en grande partie la reconstitution du magnifique plafond, devenu un symbole d’espoir. Les Britanniques contribuèrent aux lustres scintillants qui illuminent aujourd’hui l’auditorium. Les Français, quant à eux, s’investirent dans le conseil d’administration, participant activement à la gouvernance et à la promotion de l’institution.

Un « chronomètre de la reconstruction » fut même érigé sur le chantier par le coordinateur du projet, Giorgio Costa, fixant la date d’achèvement à décembre 2003. Cette horloge numérique, visible de tous, maintint une pression positive sur le rythme des travaux, mais surtout, elle galvanisa l’esprit vénitien local, rappelant constamment aux travailleurs l’objectif à atteindre et l’importance de leur mission.

« Com’era, dov’era » : L’Art de la Reconstruction

La philosophie « com’era, dov’era » fut appliquée avec une minutie extraordinaire. Il fallut compiler des centaines de photographies, des dessins, des témoignages pour reconstituer chaque détail des décors intérieurs. Les artisans vénitiens, avec leur savoir-faire ancestral, furent au cœur de ce projet. Des stuccateurs recréèrent les motifs complexes, des ébénistes travaillèrent les bois précieux, des doreurs appliquèrent des mètres carrés de feuilles d’or, des veloutiers tissèrent les soies écarlates.

La logistique fut un défi titanesque. Le béton destiné aux fondations dut être pompé sous l’eau depuis une plateforme installée sur le Grand Canal. Une grande partie des éléments décoratifs, comme les fresques du plafond et les panneaux des loges, furent assemblés hors site puis transportés par bateau et installés pièce par pièce. On estime à quelque 5 000 les voyages en bateau nécessaires pour acheminer les matériaux de construction. Chaque obstacle fut franchi avec détermination, chaque difficulté surmontée par la passion et l’ingéniosité. L’esprit des personnes impliquées était tel que l’impossible semblait à portée de main.

Enfin, le nouveau théâtre était prêt. Habillé de ses vestibules en marbre étincelant, de ses grands escaliers invitant à l’ascension vers la beauté, et de ses sols polis, il était l’exacte réplique de la Fenice de 1792 et de sa version reconstruite au XIXe siècle, mais avec des améliorations techniques modernes en matière de sécurité et d’acoustique, discrètement intégrées.

La Nouvelle Aurore : La Fenice Retrouvée

Le 14 décembre 2003, une semaine de concerts inauguraux marqua la réouverture très émouvante de La Fenice. Ce fut un moment de joie et de fierté immense pour Venise et pour le monde entier. Le concert inaugural, sous la baguette de Riccardo Muti, rendit hommage à Beethoven, Wagner et Stravinsky, célébrant le legs musical du passé et l’énergie créatrice du présent.

En novembre 2004, le cycle de renaissance fut pleinement accompli avec la reprise de la saison d’opéra. Et quel meilleur choix que La Traviata de Verdi pour cet événement fondateur ? L’œuvre qui, après des débuts difficiles, était devenue un chef-d’œuvre universel, fut recréée là même où elle avait vu le jour en 1853. Ce fut un hommage vibrant au maestro et un symbole puissant de la victoire sur l’adversité.

Aujourd’hui, La Fenice n’est pas seulement un monument historique, c’est un théâtre vibrant et actif, qui propose une saison lyrique et symphonique de grande qualité. Elle attire des artistes de renommée mondiale et des spectateurs venus des quatre coins du globe. Chaque fois que je foule ses sols, que j’admire ses dorures qui scintillent sous les lustres de Murano, ou que je m’installe dans l’une de ses loges de velours, je ressens la densité de son histoire. C’est un lieu qui défie le temps, une preuve éclatante que la beauté, l’art et la détermination humaine peuvent triompher de tout.

Conclusion

Alors que mes pas résonnent sur les ponts et les ruelles de Venise, mes pensées me portent inévitablement vers La Fenice. Plus qu’un simple bâtiment, plus qu’une salle de spectacle, elle est l’âme même de cette ville unique.

J’imagine les nobles d’antan glissant en gondole vers ses portes, les éclats de rire et les larmes d’émotion qu’elle a abrités, les créations audacieuses qui y ont vu le jour. Chaque stuc doré, chaque panneau de velours écarlate semble imprégné des mélodies qui ont empli l’air, des applaudissements frénétiques et des silences suspendus.

La Fenice est une héroïne, la preuve vivante qu’une tragédie peut se transformer en un acte de foi et de résilience sublime. Elle nous rappelle que le patrimoine n’est pas une relique figée du passé, mais une entité vivante, à chérir, à reconstruire et à faire résonner pour les générations futures. Son histoire est un cri d’espoir, une symphonie de courage et de beauté qui continue de s’élever au-dessus des eaux de la Sérénissime.

Passionnée d’histoire et d’architecture, La Fenice me captive et m’inspire profondément. Elle est le cœur battant de Venise, le Phénix éternel qui continue de chanter. Venez la découvrir, laissez-vous porter par ses histoires, et vous comprendrez pourquoi elle est bien plus qu’un simple opéra : c’est un miracle d’art et de volonté.

Sources et Liens Utiles :

Voici quelques sources vérifiables pour approfondir votre découverte de La Fenice :

  1. Site Officiel du Teatro La Fenice :
    • Le site propose une section histoire très détaillée, des archives, et des informations sur la programmation actuelle.
    • Teatro La Fenice – Histoire
  2. Venise Tourisme – Article sur La Fenice :
  3. National Geographic – « Recreating Venice’s La Fenice Opera House » :
  4. Ina.fr – Reportage sur l’incendie de 1996 :
  5. France Musique – Article sur Verdi et La Fenice :
  6. Site de la Fondation Culture & Diversité – Le mécénat pour La Fenice :

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