La Biscione au-delà des Visconti : Sforza, le Football et l’Industrie

L’empreinte de la Biscione s’est étendue bien au-delà de la famille Visconti elle-même. La famille Sforza, qui succéda aux Visconti à la tête du duché de Milan, a également adopté ce symbole, le maintenant ainsi comme un emblème central pour la région. Les armoiries des Sforza, des armoiries de Milan et du Duché de Milan, ainsi que de l’Insubria (une région historique correspondant en grande partie à la Lombardie) ont ostensiblement affiché ce puissant reptile.

Plus tard, au XXe siècle, la Biscione a été réappropriée par des institutions et des entreprises modernes, démontrant sa capacité iconique à transcender les siècles.

• Le Football : Le célèbre club de football de l’Inter Milan, dont le nom évoque l’internationalisme, a fait de la Biscione l’un de ses symboles les plus reconnaissables. Le blason du club arbore fièrement ce serpent, incarnant la force et la combativité chères aux supporters.
• L’Automobile : La marque automobile Alfa Romeo, fondée à Milan, a intégré une version stylisée de la Biscione dans son logo. Ce choix souligne les racines milanaises de la marque et son ambition de représenter la puissance et l’élégance.
• La Communication et le Diverissement : Dans une version où le traditionnel enfant est remplacé par une fleur de lys, Fininvest, le groupe médiatique fondé par Silvio Berlusconi, a également utilisé la Biscione, témoignant de sa présence dans des domaines variés. Le fait que la résidence de Silvio Berlusconi ait exposé un « Reptile Couronné (Biscione) dévorant un Humain » sur sa pelouse souligne la fascination persistante pour ce symbole au sein de l’élite italienne.

La Biscione et ses Échos Universels : entre Mythes et Spiritualités

L’image du serpent dévorant ou émergeant de quelque chose est récurrente dans les mythologies et les spiritualités à travers le monde. La Biscione de Milan, par son caractère archétypal, résonne avec ces symboles anciens.

Xipe Totec and Quetzalcoatl comme décrits dans le Codex Borbinus montre le dieu serpent avalant un enfant comme la Biscione

• Quetzalcoatl, le Serpent Emplumé : La ressemblance avec Quetzalcoatl « le Seigneur de la vie » pour les Mayas et le roi de Tula, souvent représenté en tant que serpent, est frappante. La notion de « consommation » par un serpent peut évoquer des cycles de mort et de renaissance, des transformations profondes. Les représentations issues du Codex Telleriano-Remensis illustrent cette puissance chthonienne et céleste du serpent.
• Le Bouddha et le Naga Indien : Dans le panthéon hindouiste, les Naga (serpents fabuleux) jouent un rôle important. Ces êtres mythiques, souvent représentés avec des capuchons de cobra et des caractéristiques chimériques, symbolisent des forces naturelles puissantes et des gardiens de trésors cachés. La posture du Grand Soleil Bouddha, assis sur les anneaux d’un serpent, datant du XIIe siècle au Cambodge, suggère une maîtrise de ces forces primordiales.
• Le Serpent dans les Traditions Égyptiennes et Alchimiques : Les représentations égyptiennes, comme celle d’un bas-relief où Jésus est associé à un dieu-serpent, évoquent des cycles de rebirth. L’idée d’une âme traversant le corps d’un serpent pour renaître par sa bouche, comparée à l’histoire biblique de Jonas et de la baleine, souligne le thème universel du passage et de la transformation. Dans l’alchimie, le serpent est souvent associé au cycle de la matière, au creuset ou au Graal, d’où émerge une nouvelle forme, un nouvel être. L' »Ouroboros », ce serpent se mordant la queue, symbolise l’éternité et le cycle infini de la vie et de la mort.
• Le Serpent dans la Torah: Le symbole du serpent en bronze apparaît à la fois dans l’Exode et dans le Livre des Nombres. Il raconte l’un des nombreux épisodes où les Israélites ont douté de Dieu. Lors de leur errance dans le désert, la nourriture et l’eau se font rares, et le peuple commence à se plaindre contre Moïse et contre Dieu lui-même. En réponse, Yahweh envoie une plaie de serpents venimeux parmi eux. Beaucoup meurent, et ceux qui survivent prennent conscience de leur péché. Ils se tournent alors vers Moïse pour qu’il intercède en leur faveur auprès de Dieu et demande la fin de la plaie. Moïse exécute leur demande :« L’Éternel dit à Moïse : Fais-toi un serpent brûlant, et place-le sur une perche ; quiconque aura été mordu, en le regardant, conservera la vie. »

  Moïse fabrique alors un serpent en bronze et le place sur une perche. Ceux qui avaient été mordus et qui regardaient le serpent d’airain étaient sauvés.

• EA, le Dieu Serpent des Étoiles : Dans certaines cosmogonies anciennes, EA (ou Enki dans la mythologie sumérienne) est un dieu serpent associé aux eaux, à la sagesse et à la création. Il est parfois représenté offrant le « secret des étoiles » à un prêtre, incarnant la transmission du savoir cosmique.

Ces corrélations multiples ne visent pas à affirmer une origine unique ou directe, mais plutôt à souligner la puissance évocatrice universelle du symbole du serpent. Il incarne à la fois la dangerosité et la sagesse, la force destructrice et le potentiel de régénération, la connexion aux profondeurs de la terre et aux mystères du cosmos.

La Biscione Aujourd’hui : Un Symbole Vivant de Milan

La Biscione n’est pas une relique du passé figée dans les livres d’histoire. Elle est un fil conducteur qui relie l’histoire prestigieuse de Milan à sa modernité dynamique. Chaque fois que vous croiserez ce puissant serpent héraldique dans les rues de la ville, sur les monuments ou dans les logos d’entreprises milanaises, rappelez-vous la richesse de son histoire : une saga de pouvoir familial, de victoires guerrières, d’alliances internationales et d’échos profonds dans l’imaginaire collectif humain. C’est un témoignage vivant de l’identité complexe et fascinante de la capitale lombarde.

Conclusion

L’exploration de la Biscione a été une véritable plongée dans les méandres de l’histoire, de l’art et de la symbolique. Ce qui commence comme le blason d’une famille puissante se révèle être un miroir des aspirations humaines les plus fondamentales : la quête de pouvoir, la peur de la mort, l’espoir de la renaissance, et la recherche éternelle de sens.

Que l’on y voie la domination implacable des Visconti, l’héritage culturel transalpines des Orléans, ou les échos universels des mythes anciens, la Biscione nous rappelle que les symboles ont une force extraordinaire. Ils ancrent nos identités, racontent nos origines et continuent de résonner à travers les âges.

Milan, à travers sa Biscione, nous offre une leçon magnifique : l’histoire n’est jamais tout à fait passée. Elle vit en nous, se transforme, se réinvente, et continue de sculpter le monde dans lequel nous évoluons. Et c’est dans ces découvertes, au cœur des pierres anciennes et des mythes oubliés, que réside la beauté intemporelle de nos voyages, qu’ils soient géographiques ou intellectuels.

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